Juste comme il faut !
- Nathalie Barre Tricoire

- 29 févr. 2020
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 mars 2020
Chronique de mars 2020

J’ai souvent été étonnée par le « sens de la justice » chez les enfants ou plutôt, leur rejet très fort de l’injustice. Après quelques recherches, j’ai découvert les résultats d’une étude scientifique, assez récente, faite avec de très jeunes enfants, et qui démontraient leur disposition naturelle pour une juste réparation des torts causés à autrui et un réel souci d’équité (menées par des chercheurs de l’université de Manchester et de l’Institut Max-Planck de Leipzig). Mon étonnement n’avait donc rien d’étonnant !
Selon cette étude, cette attention particulière aux situations d’injustice pourrait expliquer les « cafardages » des enfants qui, par l’intermédiaire d’un adulte, souhaitent rétablir un ordre qui punit le « méchant » et protège les plus faibles. L’enfant manifeste une affection innée envers son semblable dès lors qu’il se retrouve dans une situation qui lui apparaît insupportable pour lui-même.
Cet élan naturel pourrait « être fondé sur l’empathie, c’est-à-dire la capacité de l’enfant à ressentir les émotions de l’autre, capacité qui apparaît très tôt et de manière progressive ».
Ce questionnement autour de la justice fait aussi l’objet d’analyses dans l’environnement professionnel de la part des sociologues et chercheurs en organisation du travail. Ainsi, depuis plus de 40 ans, la théorie de « justice organisationnelle » s’intéresse-t-elle à la perception de justice ou d’injustice des salariés à travers leurs expériences au travail.
Car cette perception va influencer fortement les comportements et les attitudes des individus selon qu’ils considèrent qu’ils sont, ou non, traités équitablement dans leur emploi. Ces sentiments agissent sur l’engagement et le bien-être au travail qui, au-delà de l’épanouissement de la personne, sont des facteurs avérés de performance. L’étude des éléments déterminants de ce qui constitue un contexte « juste » est l’objet même de la « justice organisationnelle ». Et, ce qui est intéressant, c’est de savoir qu’il est possible d’agir pour que l’environnement de travail prenne mieux en compte cet impératif de justice, socle d’une culture d’entreprise partagée et vivante.
Cette théorie relève trois dimensions pour évaluer les sentiments d’équité entre les individus : la justice distributive, la justice procédurale et la justice interactionnelle.
La justice distributive est l’accord entre le salarié et l’entreprise sur la rémunération obtenue en échange du travail fourni. Cet accord est la base de la collaboration et le début de l’engagement du salarié. Il est le cadre formel qui permet, a priori, d’accepter les règles de fonctionnement de l’organisation. Mais cet équilibre de départ doit être permanent !
Il repose non seulement sur une vision juste de la rétribution reçue par rapport à la contribution fournie mais aussi sur la perception relative et comparative de « ce que l’on reçoit » par rapport à ce que « d’autres reçoivent aussi ». Pour une contribution jugée identique, la rétribution doit être égale. Ainsi, c’est le plus souvent par comparaison et de manière relative que le salarié va apprécier sa propre situation et la capacité de l’entreprise à récompenser « équitablement » son travail.
Mais au-delà de cette appréciation, le sentiment de « justice » tient encore davantage à la clarté et la rigueur de la procédure selon laquelle la « distribution des revenus » de l’entreprise a été réalisée auprès de ses salariés. La dimension de « justice procédurale » nous enseigne que chacun comprendra et donc acceptera mieux une décision, quelle qu’elle soit, dès lors que le mécanisme qui a conduit à ce choix est connu, expliqué et admis. Pour que le processus soit incontesté, le salarié doit pouvoir y participer et s’exprimer avec confiance sur ce qu’il attend de l’entreprise.
La confiance est la clé de la justice procédurale et cette confiance en l’organisation est la clé de la performance. Elle permet de réduire les incertitudes sur son propre avenir si chacun sait que la structure de l’entreprise s’appuie sur un dispositif connu, robuste et applicable à tous. Cette structure « procédurale » est la « loi » interne de l’entreprise.
Même si les décisions prises ne sont pas toujours ressenties comme « justes », l’instauration d’une « procédure » est la condition première de toute justice.
Ce cadre de « justice procédurale » défini et identique pour tous va se traduire, dans son application, par une dimension plus individuelle et interpersonnelle entre le salarié et le « représentant » de l’entreprise. La « justice interactionnelle » s’intéresse à la qualité et la sincérité des relations et de la communication entre les individus. Ces relations au quotidien sont perçues d’autant plus justes que le management pratique l’écoute et le dialogue dans un échange respectueux et sans posture hiérarchique.
Si le sentiment de justice se construit dans l’espace laissé au dialogue, il s’enracine encore davantage si les raisons d’une décision sont communiquées avec clarté et sincérité. Cette transparence est la manifestation du « droit de savoir » au sein d’une entreprise dans laquelle chacun doit se sentir membre et participer à son projet commun. Il en va de la reconnaissance sociale, du sentiment d’appartenance et d’attachement à l’entreprise qui est avant tout une communauté humaine.
Une enquête récente de l’APEC (enquête de janvier 2020, publiée sur le site de l’APEC) sur les nouveaux modes de management relève que le « sens de l’écoute est essentiel à la construction d’une relation de confiance et permet de mieux comprendre les leviers à actionner pour mobiliser et améliorer la performance ». Cette pratique de l’écoute n’est pourtant pas toujours mise en œuvre, parfois faute de temps (réelle ou supposée), sans doute aussi, par crainte d’annoncer une décision dont on sait qu’elle pourrait être mal reçue et plus généralement, parce que l’organisation de l’entreprise est souvent restée sur des règles « d’obéissance » face à « l’autorité » de la direction dispensée d’explications.
Dans son essai « le management juste », Thierry Nadisic (professeur agrégé, chercheur à emlyon business school et docteur en comportement organisationnel) donne des pistes d’actions pour « favoriser les sentiments de justice au travail ». Il estime qu’un manager est « juste parce qu’il sait que la justice est une fin en soi ».
Même s’il est difficile de définir précisément ce qui est juste tant chacun peut l’entendre ou le ressentir différemment, même si les décisions ne peuvent pas toujours satisfaire tout le monde, en revanche, on sait qu’un socle partagé de règles communes et de pratiques individuelles renforce la perception de justice dans l’entreprise.
Il est donc impératif que l’entreprise intègre ces notions d’organisation et de management « justes », à la fois pour des raisons éthiques mais aussi pour des raisons d’efficacité.



Bonjour Nathalie
Très intéressant, mais la confiance présuppose la liberté de parole et la capacité à ne jamais juger ce que dit l'autre, or nos organisations d'entreprise sont malheureusement encore loin de cette acceptation.
Dommage, pour ma part, je suis totalement convaincue que cette liberté est l'essence même d'un travail " heureux" et de le réussite de l'entreprise.
Amicalement
Valérie b